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lundi 10 novembre 2008

Chaleur

Nous n’avions plus rien à nous dire… Après les grandes batailles verbales, les grandes joutes oratoires, les crises exacerbées, le silence s’était enraciné, et nous étions comme deux généraux ennemis contemplant côte à côte un charnier encore frais d’une bataille fratricide, d’où ne s’échappent plus que quelques beuglements d’agonie.

Là où nous aurions brandi le poignard des mots, nous n’avions même plus la velléité d’émettre un soupir de mécontentement.

Nos corps s’étaient refroidis et ne trouvaient plus la force de réchauffer l’autre.

Nous nous étions engourdis lentement, sans même nous en rendre compte, et nous guettions d’un œil hagard qui de nous deux finirait par s’effondrer de lui-même.

C’est elle qui est partie en premier. Elle n’a pas su attendre. Un jour de grand vent, alors que nous marchions d’un pas silencieux le long des falaises du cap Gris Nez, elle s’est arrêtée et m’a souri timidement. Ses cheveux noirs battaient le vent et je l’ai trouvé tragiquement belle. Elle n’a pas sauté, elle s’est juste laissé tomber. Je n’ai pas entendu de cris, le vent m’a certainement volé ses derniers soubresauts.

Cette victoire sans reddition me laisse comme un goût d’inachevé, comme une guerre sans vainqueur.

Parce que nous avons cru que nous pourrions atteindre la lumière, parce que nous avons eu l’imprudence de nous sentir invulnérable, parce que nous avons trahi nos idéaux et renoncé au changement, nous avons construit sur un cimetière. Nous avions arque bouter nos corps dans une hypnotique transe, vers le soleil, la chaleur, la lumière, l’obsession de l’espoir, car nous ressentions cette magnifique envie intime de croire.

En vain. Pour toujours. Comme toujours.

Interface (première partie)

Nous sommes "l'aboutissement" d'une mutation qui a commencé il y a quatre milliards d'années et qui finira dans cinq autres.
Nous sommes plutôt une étape d'un process qu'une fin en soit. Au milieu du guet, à la moitié de la vie de notre soleil nourricier.
D'où venons nous, pour aller où ?
La première question me paraît paradoxalement plus difficile à répondre que la deuxième.

Notre mutation s'achèvera dans l'unification des consciences au sein d'un méta-esprit que l'on pourrait nommer par facilité Dieu. Nous sommes les jouets d'une expérimentation ou d'une réaction en chaîne inopportune. Croire en Dieu, c'est s'égarer dans le statisme, de notre mutation nécessaire, de notre chemin, notre destinée. Croire en Dieu, ce devrait être croire en l'homme.

Comment peut on imaginer notre forme actuelle comme éternelle ? Lorsque l'on regarde le chemin parcouru entre la bactérie et l'être humain sous sa forme actuelle, comment peut on s'imaginer être la forme ultime de notre évolution ?

A l'évidence, nous sommes arrivé à l'aboutissement de l'évolution naturelle (ceci mériterait quelques nuances, mais j'y reviendrai), il est désormais nécessaire de prendre en main nos transformations.

Dans un premier temps, grande sera la tentation de fabriquer des super-corps, des mélanges de machines et d'Hommes sur la base et le squelette de ce que nous sommes. Notre aboutissement se situe dans l'interfaçage avec les machines que nous fabriquons puis in fine dans notre totale dématérialisation.

Il est étonnant de voir à quel point ces quelques évidences suscitent une crainte, un réaction épidermique.

Création de Dieu, fabriqué à son image, nous n'aurions pas le droit de retoucher le travail accompli, un peu comme si nous voulions nous protéger du peintre fou qui déciderait de modifier le nez de la Joconde celui ci n'étant pas à sa convenance.

Cette erreur réside dans la pensée que nous sommes une oeuvre achevée. Il s'agit d'un travail collectif dont les pourtours sont à peine tracés. Tendre un cordon sanitaire devant ce travail, c'est le tuer dans l'oeuf. Que dirait on si l'on injectait une substance dans le corps d'un enfant de huit ans pour qu'il garde à jamais cette apparence ?

Il est vrai que nous empruntons des chemins détournés. Si "l'humanité" s'entendait sur le but à atteindre, s'organisait, nous n'assisterions pas à ces débordements mus la plupart du temps par la cupidité et l'égoïsme. Alors que nous devrions travailler ensemble (la tache est colossale) c'est notre individualisme pathétique qui produit les meilleurs effets. Modifions notre corps pour l'améliorer et s'en soustraire ? Non pour paraître plus jeune, gagner un peu de temps. Améliorons les interfaces avec les machines pour les intégrer ? Non les améliorons pour mieux jouer, avoir plus de sensations. La déperdition d'énergie est affligeante, mais elle débloque les verrous. Etrange cette sensation d'être au coeur d'une réaction chimique où les forces s'affrontent, les unes favorisent le déroulement de la réaction, les autres sortes de déchets des premiers, engorgent le système et tend à le figer.

Que penser de l'absence totale de perspectives de notre monde, de nos vies ? Pas de but, pas d'objectif... Des milliards de vies inutiles, gâchées, déchets d'une vaste réaction qu'il faut prendre garde de ne pas étouffer.

On peut classer les humains en trois catégories : Ceux qui font, ceux qui savent, et les autres...

Je regrette de pas faire de la première catégorie et probablement plus encore de faire partie de la seconde.

Comment dans de telles conditions donner du sens à sa vie ? Se sentir un déchet n'est pas très valorisant, le savoir n'arrange pas les choses. Utiliser une vie entière pour rien, si ce n'est se reproduire, s'en rendre compte, voilà qui n'est pas réjouissant.