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lundi 20 juin 2011

IBIZA : L'ENTRÉE AU SPACE

La limousine s’immobilisa bientôt, et je fus ébloui par l’afflue de lumière lorsque Pablo nous ramena à la réalité moite du parking du Space. Je soignai ma sortie avec Farida en ajustant mes Ray Ban. Georges s’étira avant d’enlacer Claire. Franck tenait ses deux captives par les épaules.
Je remarquai que les quatre filles étaient « coordonnées » : Claire et Farida ne portaient qu’un maillot de bain doré, imitation feuilles d’or, tandis que les deux prisonnières de Franck étaient drapées dans des tuniques blanches échancrées à la romaine, ce qui propulsait Franck du rang d’Escobar à celui de Caligula.
La longue file d’attente bigarrée qui patientait en plein soleil saliva instinctivement lorsque les grilles de l’entrée s’ouvrirent par miracle devant nous. Le sésame provoqua un hurlement des quatre filles qui se déhanchèrent en pointant leurs doigts vers l’azur, tandis que nous restions faussement placides, conscients d’être un instant le centre du monde, pur moment de vanité qui en valait bien un autre. Les deux gardes du corps parachevaient l’aspect rock’n’roll star, Pablo poussa même le bouchon jusqu’à demander à un badaud d’arrêter de nous prendre en photo.
Après les escaliers, nous contournâmes le bar pour nous retrouver dans une salle à ciel ouvert, protégée du soleil par des toiles militaires ajourées. Le bleu n’échappait à personne pour peu que l’on veuille bien lever la tête.
Toutes les cinq minutes, l’atterrissage d’un jet coupait le ciel en deux (la boîte se situait en bout de piste) et renforçait l’aspect irréel du lieu. Pour autant, la puissance acoustique des turboréacteurs était à peine suffisante pour couvrir le beat des enceintes qui martelaient une techno pointue.
Le périmètre de la salle était composé par une rangée de ventilateurs d’usines qui propulsaient un courant d’air agréable. Les quatre filles se postèrent immédiatement sur un promontoire devant un de ces ventilateurs. Des jets d’eau furent bientôt pulvérisés devant la soufflerie, créant ainsi un gigantesque brumisateur qui rendait l’atmosphère définitivement plaisante. Disposées maintenant en formation, dos au mur gazeux, les bras en croix, elles se faisaient asperger par le brouillard humide. Les quelques rares morceaux de tissus qu’elles portaient sculptèrent alors au plus près les formes ambrées qu’ils étaient censés dissimuler. Le spectacle de tous ces corps envoûtés et vibrant à l’unisson de la volonté du DJ avait quelque chose d’enivrant. Le remix « Sorry » de Kascade débuta ce qui mis le feu même aux zombies que l’on pouvait penser éteints ; la foule était souriante, plaisante. Franck était monté sur un promontoire, protégé par son gorille. Pris dans le mouvement, il déchira soudainement sa veste à trois mille euros pour la balancer dans le rassemblement, tandis que les deux Romaines se frottaient contre lui. Il venait à mon grand étonnement de devenir le spectacle. Son accoutrement, notre entrée en matière, et les deux amazones le rendaient crédible, son côté sans gêne en toutes circonstances firent le reste : spectateurs, nous fûmes propulsés au rang d’animateurs. Franck transpirait et arracha bientôt sa chemise pour mettre à jour sa bedaine à peine maintenue par l’étoffe noire Armani. Sa panse rebondissait contre le corps des gamines qui se prêtaient au jeu en s’accroupissant à tour de rôle, en écartant les jambes de façon indécente face au public. Je me mis à repenser au clip « relax » des Franky Goes to Hollywood, vitrine édulcorée des back room New Yorkais avant le massacre viral qui débuta dans les années quatre vingt pour plonger la jeunesse dans un coma dont on ne voyait toujours pas le bout.
Je m’éloignais tant bien que mal de ce cirque de lumière pour me diriger vers une porte sombre à l’opposée de la piste qui m’intriguait.
Dans l’obscurité quasi totale, une autre musique plus deep me saisit et m’entraîna au centre d’une piste de danse à peine éclairée et parsemée de débris de verre. Je fus happé à mon tour par une transe extatique. Le son était tellement puissant que l’on sentait les variations de pression atmosphérique comprimer les poumons, la tête devenait comme un caisson de résonance, le cœur et tous les organes s’organisaient pour fonctionner entre cent trente et cent cinquante pulsations minute. Le compteur au-dessus de la console du DJ indiquait cent vingt décibels ; s’approcher d’une enceinte sans protection n’était pas sans risque. Je n’étais pas seul, mais toute tentative de communication était vaine, on ne voyait quasiment rien, impossible de distinguer les traits de mon entourage, quant à parler, c’était strictement impensable.
Episodiquement, pendant quelques secondes toutes les spots s’allumaient, ce qui n’était pas sans m’évoquer le flash précédent un holocauste nucléaire, et me permettait de constater que la foule que je pressentais immense autour de moi n’était pas un trouble de ma conscience. Puis nous replongions dans le noir. Je fermais les yeux, la vue n’était plus nécessaire, mon corps avait trouvé sa place parmi les autres, un périmètre virtuel d’évolution s’était créé tacitement au sein des éléments m’entourant. La musique était extrêmement répétitive et nous pouvions sentir la moindre variation de substance, nous étions au cœur d’une machine binaire, nos individualités s’étaient effacées pour s’intégrer et se fondre à cette mécanique électronique. Ce faisant, nous n’étions plus qu’un, rendant d’autant plus inutile toute tentative de communication humaine. Je me sentais de plus en plus découplé de mon corps qui fonctionnait comme un automate à l’aide des couches profondes de mon cerveau et me retrouvait ailleurs, « moi avec moi-même », au calme et une lumière tamisée. Une transe sans drogue, sans alcool, un phénomène purement vibratoire.

extrait de mon nouveau roman

S’il est difficile de s'entendre sur le bien, il est plus commode de ne pas avoir de doute sur la nature du mal, l'image que nous lui donnons. C'est d'ailleurs plus facile de lutter contre le mal, de se réunir, au-delà des clivages géographiques, politiques, ethniques. Combattre le mal, c’est réunir autour de soi, rassembler ceux qui se déchiraient auparavant. L’exhorter aussi...

La propagation du bien, c’est le Jihad, toutes les guerres saintes qui ont maculé les cinq continents de sang. La foi retourne les montagnes dit-on, elle permet surtout de massacrer dans la communion, la recherche de la rédemption.

L’expansion du bien, la guerre, et la foi sont une trinité, les trois hypostases du chaos, l’endiguement du mal, la guerre et la raison constituent son négatif.

Ces deux systèmes forment une croix dont le centre est constitué par le fer et le feu ; je suis au centre de cette croix, au centre de toute chose : quelque soit votre dessin, votre motivation, je suis toujours avant et après.

Comme un pendule, la paix progresse, ralentie et repart inexorablement vers le trouble et la tourmente. Le désespoir et la nuit finiront bien par se dissiper à leurs tours pour repartir vers une aube pleine d'espérance. Mais toujours vous passerez par moi.

Ne m’appelez pas Arès ou Mars, je ne suis pas un simple dieu qui se contente de champs de batailles, je suis Typhon, celui qui a sectionné les tendons des bras et des chevilles de Zeus, pour n’en faire qu’un pantin désarticulé, celui qui vous a enfermé dans cet enfer circulaire.

Espace temps...

La vitesse est fonction de la circonférence du cône dans lequel nous nous enfonçons.

La durée n’est pas fonction de la distance mais du carré de la vitesse acquise dans le cône.


Le temps est relatif, il ne dépend pas de la distance de la chute, mais de la masse acquise…





reflexion


Le bonheur est composé d’un nombre fini de petites particules qui filent entre nos doigts. Plus que la quantité de départ, c’est notre capacité à les retenir qui fera la différence.

Le Cubain

 Le ciel est chargé, ma mémoire aussi. Le paysage défile. Je repense à Pédro, un Cubain à peine septuagénaire que j'ai rencontré un soir où nous avions consommé plus de vin que de coutume, suffisamment pour que les langues se délient, que l'émotion exacerbée de nos vies heurtées remontent à la surface.

La vie, les joies, les souffrances et bien sûr la mort. Pedro m'en parla sans détour, il s'amusait d'ailleurs d'un jeune quadra qui lui parlait de ses angoisses alors qu'il se savait être au bout du chemin.

Il me parla de Cuba, sa patrie disparu, englouti par la dictature, de la joie et l'insouciance étouffées par la bêtise humaine. Sa voix était musique, ses mains le métronome d'une pensée alerte.

Je citai Y. Navarres "Plus que le goût des mets, c'est le sens du repas que nous avons perdu", pour réponse il m'avoua qu'il aimait toujours faire l'amour, qu'il aimait les femmes tout simplement. Il me montra discrètement mais fièrement une femme de 20 ans sa cadette dans le fond du bar.

Je la regardai, elle buvait un verre avec un groupe de personnes, son regard pétillait, elle se sentait observé, elle prit la pose avant de se tourner vers Pedro, hocher la tête pour lui envoyer un clin d'oeil dans un sourire à désarmer le plus endurci de tous, et Dieu sait si Pédro avait la peau tannée...

"Ne cherche pas un sens à tout, apprends à vivre" me dît il sans lever le regard de sa belle avant de lui retourner un baiser imaginaire.

"Parfois lorsque je me lève le matin, j'ai oublié que j'ai vieilli, parce qu'au fond je suis toujours le même, j'oublie jusqu'au moment où mon regard croise cette main ridée et burinée, jusqu'à l'instant où je découvre une nouvelle douleur qui traverse mon corps alors que j'essaye de me lever. La vieillesse, c'est l'apprentissage de la mort, la préparation au renoncement."

La pluie redouble d'intensité mais il ne fait pas froid, les couleurs se font discrètes, les détails se perdent dans ma mélancolie. Je suis frappé de constater à quel point je suis parfois aveugle du monde qui m'entoure, ommnubilé d'égocentrisme.

"C'est normal d'avoir peur de la mort à ton âge, mais ne gâche pas le bon temps dont tu disposes. Pour moi c'est un soulagement : en vieillissant le fardeau de souffrances endurées devient lourd tu sais." Je me sens comme un gamin qui écoute son père lui parler de choses qu'il ne comprend pas vraiment, qui boit ses paroles, paroles qui se gravent dans la mémoire et qui resurgissent un jour sans prévenir pour "donner sens".

J'ai quitté Pedro tard dans la nuit, je lui ai fait juré que nous dinnerions un de ces soirs. J'ai oublié.

A peine six mois plus tard, je décide par le biais d'un ami de récupérer ses coordonnées pour "prendre date". Après les formalités d'usages je lui demande s'il se rappel d'un type qui était là le soir de son anniversaire, "tu sais, un grand sec, plus tout neuf, un Cubain qui ne veut pas fumer de cigarette américaine..."


"Pedro ? Bien sûr que je me rappel, c'était l'amant d'une bonne copine à moi et qui l'accompagnait ce soir là ; par contre pour son téléphone, laisse tomber, il est mort peu de temps après mon anniversaire".

Clown

Un jour,
Un jour, bientôt peut-être,
Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers

Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien.
Je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche.

Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D'un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements "de fil en aiguille"
Vide de l'abcès d'être quelqu'un, je boirai à nouveau l'espace nourricier.

A coups de ridicule, de déchéances (qu'est-ce que la déchéance?), par éclatement.
Par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de moi la forme qu'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage
Et à mes semblables, si dignes, si dignes mes semblables.

Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une immense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m'avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l'estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

CLOWN, abattant dans la risée, dans l'esclaffement, dans le grotesque, le sens que toute lumière je m'étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l'infini-esprit sous-jacent ouvert à tous, ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée.

A force d'être nul
Et ras
Et risible...

Clown.


HENRI MICHAUX