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vendredi 15 novembre 2013


Le hasard a fait que j'ai lu coup sur coup "bohème" de Steiner, "l'hypothèse des saisons" de Nohant et à "moi seul bien de personnages" de Irving.


Le premier traite de l'amour d'un homme pour un homme. L'un des deux est hétéro, et après un cheminement intellectuel vécu à distance pendant plusieurs mois, il accepte la possibilité de la rencontre dès son retour, rencontre certaine qui ne viendra pourtant pas…

Le deuxième traite d'un homme qui tente de séduire une femme. Après un cheminement intellectuel d'un an, elle accepte de se donner, mais la rencontre pourtant devenue certaine ne viendra en définitive pas…

Ces deux livres sont des premiers romans fades, finalement symptomatiques de notre époque, beaucoup d'intellectualisation, de chats, de messages et tellement peu d'actes. On essaye de choquer mais on y va pas, on fantasme sa vie, tout ce qu'on aurait pu faire…

Bref j'abordais le nouveau roman d'Irving avec crainte, une longue marche à faire avec de la boue sur les bottes.

Il faut bien dire que les quelques derniers romans que j'avais lu de lui ne m'avait pas transcendés.

Avec ce type qui publie son 13° roman à soixante dix balais traitant de la vie d'un ado au doux statut de suspect sexuel, je n'étais pas serein...

Quelle erreur. Quelle leçon. Fessée à cul nu. Je me suis fais retourner comme une crêpe par ce livre parlant vrai, directement au coeur. C'est généreux, émouvant, étonnant, on rit, on verse même quelques larmes. C'est rare non ? Un coup de coeur donc, un truc qui modifie imperceptiblement votre centre de gravité...

lundi 5 août 2013

Tombe


Décembre, ailleurs, pas si loin, pas si longtemps, la pellicule cloque, s'use et se consume 

L'océan l'hiver, on lui pardonne d'être froid, d'être gris, d'être sale, on reste juste côte à côte

L'écharpe est blanche, le vent l'emporte avec tes cheveux, il vole tes éclats de rires.

Ils se sont perdus la bas, avec le reste, dispersés dans les embruns et ma mémoire
tu marches en arrière, tu titubes dans le sable, je pleure de rire, tu trébuches, regarde le ciel
tu souffles sur ta frange, elle retombe quand même, tu la couperas c'est sûr, j'en conviens.

Le film brûle, la gélatine s'ajoure, les images s'estompent, mes yeux s'embuent
J'ai promis l'impossible, je serre ta main diaphane, pâle de souffrance, chaude d'agonie
J'ai menti, l'enfant le sait, la femme le sent, tu fermes mes yeux, c'est toi qui meurt...

Le film déroule. C'était l'hiver mais ca ne l'était pas. L'hiver, c'est aujourd'hui, à jamais.
Le film est saccadé, la pellicule amochée, Le bonheur est simple, juste ton sourire, 
Je pose ce coquelicot écarlate sur ce monolithe glacé, cette dalle qui me prive de toi

lundi 15 avril 2013

Longtemps j'ai pensé pouvoir retrouver l'amour

Longtemps j'ai pensé pouvoir retrouver l'amour.

Tantôt je l'imaginais musicienne. Disséquer avec elle sans fin un morceau, l'écouter faire ses gammes, l'admirer jouer sur scène, frissonner en la voyant réajuster une mèche derrière l'oreille avant d'entamer un solo. Suivre ses mains courir sur un piano, voir sa joue posée sur un violon, serrer entre ses jambes une contrebasse...

Tantôt je la voyais aventurière, me tirant par la main aux quatre coins du monde, me poussant d'un avion, hurlant en tirant sur la poignée du parachute, je nous voyais assis en tailleur sur une roche polie, contemplant en silence un coucher de soleil flamboyant le visage maculé  d'une boue séchée, sa tête sur mon épaule.

Tantôt  j'étais certain que c'était une intellectuelle que je cherchais. Plongeant sans vergogne dans les affres de la métaphysique, elle ne trouvait pas le répit en me rejoignant le soir, excitée  par un concept quelle voulait partager, un débat quelle voulait prolonger. Le soir nous nous faisions la lecture dans le lit, je la regardais les yeux brillants d'admiration.

Tantôt c'était une chienne. Nous nous enfoncions sans vergogne dans les fantasmes que les Bourgeois délurés ne pouvaient imaginer, faux décomplexés pourris de préconçus, retirant les barrières pour les disposer juste  un peu plus loin... Nos corps étaient deux mécaniques célestes complémentaires, deux composés chimiques nécessaires à une même réaction chimique.

Un tailleur strict, une dentelle émouvante, une culotte et un maillot blanc, un jean, des talons aiguilles vertigineux, des chaussures indiennes, un maquillage lourd, des lèvres naturels, une queue de cheval, les cheveux courts, une voix grave, des paroles douces, un rire cristallin sans retenu, des baisers  doux et langoureux, une bise qui claque, une langue qui file, une bouche qui s'ouvre où je me perds...

Tant de temps pour me rendre contre que c'était une seule et une même  personne que je cherchais, une particule d'antimatière, un double, une chimère. Tant d'années pour comprendre que l'esprit fabrique des êtres qui n'existent pas, repoussant sans cesse les frontières du possible, objet de frustrations inextinguibles. 

Pourquoi donner autant de valeur à la durée dans une relation ? N'y a-t-il pas de bons moments  fugaces ? Pourquoi s'extasier sur une relation dans laquelle on s'épuise ? Fallait il que je vive dans des mondes parallèles pour trouver le bonheur ? Qui avait il d'inexcusable de trouver en chacune d'elles  une part d'absolue ?

dimanche 13 janvier 2013

J'veux toujours être ailleurs


"J'veux toujours être ailleurs" crachent les enceintes pourries de sa voiture qui ne l'est pas moins. Elle s'installe derrière le volant, hilare, claque la portière et me lâche en me tendant en bouteille de Vodka "il n'y avait plus que ça". La station service est déserte, un énorme coquillage jaune l'illumine. Elle s'engage sur le boulevard en s'allumant une clope. Nous sommes complètement défoncés et j'envisage sereinement que cette nuit puisse être la dernière.


Marie est venimeuse. Elle nous emmène je ne sais où, et je m'en moque. Nous traversons la ville déserte. Il fait froid, humide. Les lumières se confondent en traits lumineux mal peint. J'ai entrebâillé la vitre, la bruine s'insinue dans l'habitacle et me tient éveillé. C'est elle qui m'a proposé d'aller dans ce cabaret. J'avais réussi à prendre un peu de champs depuis notre dernière dispute ; décrocher était en soi un signe de faiblesse, une reddition sans condition.

Dans chaque relation amoureuse sourde une tragédie, une tumeur qui ne demande qu'à se répandre en métastases : tôt ou tard, l'un se mets à aimer plus que l'autre. Que l'un prenne imperceptiblement l'ascendant sur l'autre, et c'est une mécanique infernale qui se met en branle. Plus elle l'aime, plus il l'ignore, qu'il l'a repousse et elle l'adore d'avantage. Afficher ses sentiments, c'est traverser debout une ligne de front, le poitrail nu, la certitude d'avoir le cœur déchiré avant même d'avoir entendu le coup partir.

Je savais tout cela lorsque je soulageais mon GSM des vibrations qui le parcourait, alors que la photo que j'avais prit d'elle deux ans auparavant déchirait l'écran. Rouge ou vert, mon doigt n'hésita pourtant pas : mon corps ne me laissa aucune chance. Je portai le téléphone à mon oreille mécaniquement, comme une arme que l'on dirige vers la tempe. 

Certains gestes simples transportent en leur sein une part disproportionnée de notre avenir. On n'est pas préparé à ça, rien ne nous averti que la réaction que nous allons avoir dans la seconde suivante aura plus d'importance que les dix dernières de notre vie... On devrait s'entrainer comme un pilote, en simulateur, pour pouvoir réagir correctement dans une situation de risque, dérouler une procédure mainte fois éprouvée et affinée pour éviter le crash.